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Ce roi, Louis XVI, qu’on tue après l’avoir humilié, peut-être a-t-il pressenti qu’il aurait, en accédant au trône de France, un destin tragique ?

Cela survient le 10 mai 1774.

 

Depuis plusieurs jours déjà, il sait que son grand-père Louis XV est condamné, et qu’il sera lui, Louis Auguste, duc de Berry, son successeur.

L’angoisse et l’accablement l’étreignent.

Il a vu le corps du roi – Louis le Bien-Aimé, le plus bel homme du royaume, avait-on qualifié Louis XV -se transformer en un tas de chairs purulentes et puantes, le visage couvert de pustules et de croûtes.

On s’agenouille pour prier, mais au pied de l’escalier qui conduit à la chambre du roi, parce qu’à s’en approcher on craint la contagion.

« Madame, j’ai la petite vérole », a dit Louis XV à sa favorite, la comtesse du Barry.

Il veut, après une vie dissolue, solliciter la grâce de Dieu, et donc écarter cette maîtresse qui était – après tant d’autres – l’incarnation du péché.

« Il est nécessaire que vous vous éloigniez », lui a-t-il dit.

Elle a obéi et quitté Versailles pour le château de Rueil.

Et le confesseur de Louis XV a pu recueillir les dernières paroles du roi agonisant. Puis il s’est avancé vers les courtisans qui se tiennent à distance.

« Messieurs, le roi m’ordonne de vous dire que s’il a causé du scandale à ses peuples, il leur en demande pardon et qu’il est dans la résolution d’employer le reste de ses jours à pratiquer la religion en bon chrétien comme il l’a fait dans sa jeunesse, et à la protéger et à faire le bonheur de ses peuples. »

 

Louis, duc de Berry, bientôt Louis XVI, écoute ces mots.

Mais il est trop tard, la mort est là qui se saisit du corps du roi, qu’il faut au plus vite enfermer dans un double cercueil de plomb rempli d’« esprit de vin ».

Et ce roi, si puissant, si adulé dans la première partie de son règne, n’est plus qu’un cadavre qui se dissout, dont on s’éloigne, qu’on veut oublier.

On avait célébré six mille messes en 1744 lorsque la maladie avait terrassé Louis XV. On n’en compte que trois en 1774.

Et Louis XVI apprendra que c’est accompagné seulement de quelques domestiques, et d’une petite escorte de gardes du corps, que le cercueil du roi a été conduit jusqu’à Saint-Denis, la nuit du 12 mai.

Et tout au long de la route on a entendu crier, d’un ton joyeux : « Taïaut ! Taïaut ! » et « Voilà le plaisir des dames ! Voilà le plaisir ».

Oraison funèbre pour un roi qui selon le peuple s’était davantage soucié de la chasse et des femmes que de son royaume.

Et Louis murmurera, lui qu’on a en 1770 marié à seize ans, avec Marie-Antoinette d’Autriche, la plus jeune des héritières des Habsbourg, âgée d’à peine quinze ans, lui dont on assure que durant plusieurs années il a été incapable de consommer son mariage, et auquel on ne connaît aucune liaison :

« Ce qui a toujours perdu cet État-ci a été les femmes légitimes et les maîtresses. »

 

Il n’aura vingt ans que dans quelques mois, il n’a jamais régné, il ne s’est adonné avec passion qu’à la chasse, s’y livrant quotidiennement depuis sa première chevauchée, en août 1769 – il avait quinze ans – mais il a été témoin, à la Cour, des intrigues qui se nouaient autour de la comtesse du Barry et du souvenir qu’avaient laissé Madame de Pompadour, ou bien les favorites – et leurs bâtards légitimes – de Louis XIV. Ses tantes – les sœurs de Louis XV –, le gouverneur des enfants de France, le duc de La Vauguyon, l’ont mis en garde contre les femmes et l’influence qu’elles peuvent exercer dans le gouvernement.

« C’est un malheur. »

Il a vu les sujets se détourner de Louis XV.

Et il s’est fait, peu à peu, une idée des devoirs d’un souverain. Il a même rédigé une sorte de résumé de tous les enseignements qu’on lui a prodigués, qu’il a intitulé Réflexions sur mes entretiens avec Monsieur de La Vauguyon.

« Un bon roi, écrit-il, ne doit avoir d’autre objet que de rendre son peuple heureux… »

Et pour cela il ne doit pas oublier les droits naturels de ses sujets « antérieurs à toute loi politique et civile : la vie, l’honneur, la liberté, la propriété des biens… Le prince doit donc réduire les impôts autant qu’il peut…

Le roi doit être ferme et ne jamais se laisser aller à la faiblesse. Il doit aussi connaître les hommes afin de ne pas être dupe… Le roi tient de Dieu l’autorité souveraine, dont il ne doit compte qu’à Lui, mais s’il asservit son peuple, il est coupable devant Dieu ».

Et les conseils qu’il reçoit d’un abbé qui fut le confesseur de son père – l’abbé Soldani – achèvent de lui représenter le « métier de roi » comme le plus exigeant, le plus austère, le plus difficile aussi qui soit.

Il faut, lui a dit Soldani, « connaître sa religion, lutter contre les écrits des philosophes, sans ménager les auteurs, protéger l’Église sans épargner les mauvais prêtres ni les abbés avides… Évitez les favoris, tenez-vous près du peuple, évitez le vain luxe, les dépenses, les plaisirs auxquels on sait que vous tenez peu, du reste. Vous qui aimez le travail, sachez vous reposer ; vous qui êtes frugal, ne vous laissez pas séduire ; soyez bon avec tous, mais rappelez-vous que vous êtes l’héritier. Et puissiez-vous régner le plus tard possible ».

 

Mais ce 10 mai 1774, il n’a pas vingt ans, quand il entend tout à coup rouler vers lui, comme un bruit de tonnerre, le piétinement impatient des courtisans qui ont abandonné l’antichambre du souverain décédé pour venir saluer « la nouvelle puissance ».

Le roi est mort ! Vive le roi !

Le Peuple et le Roi
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